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La consigne de Bertha Harris

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Hétéro ou lesbienne, essayez d’écrire sur la visite du bas à votre tour, et voyez si en 49 ans, il y a vraiment eu la libération sexuelle féminine dont on parle tant.

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Eve Simonet
mars 10, 2025
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La consigne de Bertha Harris
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On n’en vient rarement à écrire ses vérités les plus profondes par hasard ou par facilité. On peut écrire et feinter la réalité par manque de lucidité, la tordre car la version originale nous fait honte ou peur. On peut écrire des mondes imaginaires, des utopies, des dystopies, des histoires d’amour qu’on aimerait voir advenir mais qui n’ont aucune chance d’exister ou d’avoir existé.

Mais écrire sur soi, sur son intimité et sur ce qui nous constitue dans une posture de vérité radicale, voilà un exercice compliqué. Écrire comme moyen thérapeutique, comme pour sortir de soi ce qui nous appartient ou pas, écrire pour se comprendre et s’auto-définir avant que d’autres ne le fassent à notre place. Écrire pour raconter nos histoires vraies et les faire exister dans un monde qui ne les reconnaît pas, voilà un exercice difficile.

Avant de comprendre que je voulais écrire radicalement mes vérités, mes histoires queer, mon intimité, j’ai lu les autrices qui m’ont précédée et elles m’ont profondément inspirée.

Je suis tombée sur elles au début par un heureux hasard, ou presque. Puis, l’une faisant référence à une autre, le fil a commencé à se dessiner devant mes yeux. Ce fil des autrices qui ont écrit sans excuse, sans peur, sans concession. N’ayant en tête que de partager la crue vérité de leur condition, de leurs états, de leur vie marginalisée.

Leurs écrits ont littéralement donné une nouvelle dimension à ma vie, ouvert des portes que je n’aurais jamais soupçonné exister. Lire leurs quotidiens, leurs luttes, leurs amours libres m’a permis de revoir mes perspectives et de me projeter dans leurs mondes, qui me correspondaient au final beaucoup plus que le mien.

J’ai eu de nombreuses épiphanies en lisant les féministes radicales, mais une autrice en particulier m’a touchée de plein fouet. Elle s’appelle Dorothy Allison et elle m’a fait pleurer en mettant des mots si justes sur son histoire qui ressemble tellement à la mienne, m’a fait rougir de plaisir en racontant ses histoires d’amour libres et consenties, m’a éduquée à la sexualité lesbienne, donné l’envie d’écrire mon histoire à mon tour, légitimé mon amour de la littérature comme chemin émancipateur, et surtout, persuadée que tout cela valait le coup.

Dorothy est devenue quelque part à mes yeux, familière. Je ne l’ai jamais rencontrée et pourtant, depuis maintenant plusieurs mois, elle m’accompagne. Souvent, j’ouvre au hasard un de ses livres et j’y trouve ce que j’étais venue chercher sans le savoir : de l’inspiration, de la consolation, de l’excitation, du recul sur ma condition et mes propres situations.

La première fois que je l’ai lue, je venais d’acheter presque par hasard son livre dans une librairie ferroviaire ; je me rendais au soleil sur un coup de tête dans l’espoir d’y soigner un chagrin d’amour, et pas n’importe lequel : le tout premier de ma vie, le tout premier avec une fille.

Je me suis alors assise dans le train et n’ai levé la tête qu’une fois que le chef de bord annonça notre arrivée. Trois heures trente de lecture frénétique, vive, mes yeux dévorant chaque nouvelle et chaque ligne plus intensément les unes que les autres.

J’étais à l’époque encore une jeune lesbienne, j’épousais cette nouvelle orientation sexuelle en sachant qu’il s’agissait profondément de la mienne, mais manquais encore cruellement de représentations concernant des modèles qui pouvaient inspirer mon cheminement. Je sais la chance que j’ai d’évoluer dans le contexte social de nos années contemporaines où les représentations lesbiennes sont désormais plus courantes, notamment grâce aux réseaux sociaux, et je remercie les militantes qui partagent leur quotidien afin d’inspirer, de légitimer et de démystifier nos vies. Mais les ressources en formats courts, souvent codifiées ou capitalisées, ont aussi parfois leurs limites. J’avais envie de lire autre chose, de plus intime, qui traite de sujets dont on parle peu en ligne ou dans la vraie vie quand on en a une connaissance modeste : le sexe, les luttes, l’amour.

Et voilà quatre cents pages pour nourrir cette envie de lire sur du sexe lesbien décrit crûment, sur des vies lesbiennes dans les années 90, sur des dizaines d’années de réflexion politique, de marginalisation et de luttes féministes, le tout motivé par un désir de vérité sans concession.

J’ai aimé chaque ligne de ce livre, et chaque histoire m’a touchée à sa manière. Je pourrais en parler des heures mais je m’attarderai ici sur l’une d’elles qui a particulièrement retenu mon attention.

Dans la neuvième nouvelle de Peau “Écrire le sexe, l’importance et la difficulté”, Dorothy alors en séjour dans une université d’été sur les théories féministes, nous raconte sa rencontre avec Bertha Harris, lors d’un atelier d’écriture animé par cette dernière.

C’est la consigne de l’atelier qui m’a fait rougir, comme visiblement elle a fait rougir toutes les participantes alors réellement présentes cet été de 1975. Il s’agissait d’écrire sur “la visite du bas” : le cunnilungus, en d’autres termes.

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